- ÉTERNELLE PREMIÈRE QUESTION POUR UNE INTERVIEW: PEUX-TU TE PRÉSENTER? ÂGE... MOTIVATIONS QUI T'ONT POUSSÉ À FAIRE UN ZINE??

Me présenter?!? Allah akbar Jean! Je suis Fred, unique rédacteur du zine "Le Râleur", qui n a que 3 nº à son actif, alors que le premier fut entamé en juin 96... Hum. Bon, j'ai 22 ans, officiellement car nettement moins dans la tête d'après les adultes sérieux de mon entourage, et en ce moment, comme dans "PA Rockers" de LSD, suis rocker manutentionnaire, ou manœuvre selon les jours, rien de bien passionnant quoi. Le Râleur est né au cours d'un été sans vacances, et comme je m'emmerdais très fort, j'ai eu l'idée de faire un zine, sans trop savoir au début quoi y mettre, ni comment le monter, puis j'ai fait du courrier à droite à gauche... Et voilà, je m'étais pris au jeu sans m'en apercevoir. Ce qui me motive le plus pour le continuer maintenant, ce sont les bonnes occasions qu'un zine offre pour faire partager ses coups de cœur / sang / gueule et rencontrer à droite à gauche (en fait non, ni l'un ni l'autre!) un max' de personnes sympathiques.

- CAEN N'EST APPAREMMENT PAS UN HAUT LIEU DU PUNK... PEUX-TU PARLER DE LA SCÈNE LOCALE: GROUPES LABELS, ZINES... BREF LE PUNK MADE IN NORMANDIE??

Je me permettrai d'emblée de modifier ta question, en ne parlant que du punk made in Basse-Normandie, puisque pour la Haute (Le Havre, Rouen), c'est une toute autre histoire que je ne connais pas trop.
Disons que la région caennaise fut très très rock dans les années 80, tous les grands groupes punks anglais ou français y sont passés, avec une bonne couche de psyché et de oi! aussi (doit-on rappeler qu'un des premiers groupe oi! français, BRAINWASH, est caennais?). Mais à la différence de la fin des 90's, il y avait un public adéquat, la crétouille fleurissait à Caen et à Cherbourg (le dernier bastion des punks not dead locaux!), et même en cambrousse.
Preuve de cette vivacité, LSD a joué à Bayeux en 1980, les TOY DOLLS / BUSINESS / GBH, à quelques km, ce qui laisse songeur lorsque l'on connaît l'actuelle situation de cette ignoble ville bourgeoise! Mais ce temps est révolu, le punk et la oi! sont passés de mode, ce qui motive la jeunesse actuelle, c'est le skate, NOFX à 120 balles au Zénith, les hardcoreux de MTV raides défoncés au pepsi cola. Les capitoles en sont arrivés à nous vendre les armes avec lesquelles nous comptions des bousiller... Hé t'as vu à la Fnac, un album de KORN ou de RATM acheté - un petit livre rouge offert!?
De ces années chaotiques subsistent encore d'indécrottables mohicans, des histoires à dormir debout, mais aussi l'acharnement d'anciennes et nouvelles générations de passionnés. Bon actuellement, il y a KLUNK, et d'autres groupes dans le genre, comme PUFFINS (ex-OUT OF ORDER!), les hardcoreux politisés de SEASON / LEE MAJORS qui organisent pas mal de soirées sympas, la bande des YOUNG SOUL REBELS (reggae skins) qui a quelques sound systems à son actif, le BIG BAND Café dont l'esprit d'ouverture nous a occasionnés des affiches intéressantes, quelques groupes punks irréductibles et créteux, DÉCHARGE PUBLIQUE / BEN ET SES ORDURES / DÉFONCE D'ENTRER / SPIKE / KO LE RAT ( pas les vioques!), mais encore et surtout le bande à Fatou, célébrissimes organisateurs du festirock annuel, qui comme pour contredire ce que je viens de dire, n'a pas eu lieu cette année pour cause d'environnement (politique et social!) hostile. 2 mots sur la scène Le Havre-Rouen, plus prolifique, grâce notamment au squatt 'Chez Émile', avec PLEUM / MOLAIRE / SID ET LES VICIEUX / MAATMATEUB, ex-BACKWARD et le HC possee havrais, et... et... heu, finalement, ce n'est pas trop la joie de leur côté non plus!

- POURQUOI CETTE HÉTÉROCLICITÉ MUSICALE DANS TON ZINE? ON A PARFOIS L'IMPRESSION QUE TU RECHERCHES PLUTOT DES GENS QUI ONT DES CHOSES À DIRE QUE DES GROUPES QUE TU AIMERAIS MUSICALEMENT AVANT TOUT??

Le Râleur n'est pas un zine exclusivement musical, punk, oi!, HC ont des cultures différentes fortes avec des imageries et idéologies propres, c'est à cela que je m'intéresse, pas à la marque du micro du chanteur d'OXYMORON ou à la bière préférée d'un quelconque bassiste! Un groupe qui joue bien, mais qui n'a rien à raconter, n'a pas sa place dans mes pages, puisque ses seuls arguments pour convaincre sont sur le disque que je peux écouter chez moi, juste pour le "fun". Donc, en toute logique avec ce que je viens de dire, je ne peux pas comprendre que l'on fasse à propos d'un zine quelconque quel qu'il soit, des critiques négatives quant à son contenu musical: on peut très bien lire une interview de NARSAACK en écoutant les UPSTARTS et vice versa...

- EN RAPPORT AU TON DU RÂLEUR ET NOTAMMAMENT AUX ÉDITOS, AS-TU REÇU DU COURRIER D'INSULTES, DES LETTRES D'ENCOURAGEMENT, BREF DES RÉACTIONS, CE QUI ÉTAIT LE BUT RECHERCHÉ, NON??

Non, je n'ai pas calculé le coup pour avoir des réactions, car si provoquer, choquer, ou recevoir des lettres pleines à craquer de lames de rasoirs, étaient les seules choses qui m'intéressaient, j'aurai appelé mon zine Wermacht SS, avec ma bite en couverture (NDJ: prétentieux!), des croix d'apartheid côtoyant des 'A' cerclés, et j'aurais écrit à bonehead magazine en leur proposant des tickets gratos pour la Gay pride... Rien de plus simple...Bon, tu vas me répondre que l'on peut aussi provoquer intelligemment mais disons que j'ai essayé d'écrire ce que je pensais et ressentais de la façon la plus naturelle qui soit, la plus proche possible des conversations qu'on peut avoir en cercle privé, avec une règle toutefois: imaginer que je devrais lire à haute voix ma chronique aux principaux intéressés en face! Ce n'est pas toujours évident de trouver un juste compromis entre sincérité et ménagement des susceptibilités, mais la perspective d'avoir à me cartonner à chaque concert ou d'avoir des ennemis partout pour une phrase mal interprétée m'aide à respecter au mieux cette ligne de conduite! Sinon, j'ai effectivement eu beaucoup de courrier, suite aux Râleur 00 et 01 amicaux, quoique non dénués d'esprit critique, et fruits d'une grande spontanéité, comme cette lettre vraiment touchante d'un "vieux punk" qui m'écrivait juste pour dire ce qu'il pensait du Râleur et de sa (relative) franchise, tout en m'avouant qu'en 7 ans de punkitude, c'était la toute première fois qu'il écrivait à un fanzineux sans que cela soit pour lui commander quelque chose! Ce genre de courriers fait énormément plaisir... J'ai aussi reçu quelques lettres vindicatives, mais rien de méchant!

- DANS EARQUAKE Nº56, ON A EU LE DROIT à UN DE TES DESSINS PLUTÔT GRATINÉ ENVERS LES "ÉMOCORES". PEUX-TU EXPLIQUER CETTE CARICATURE? D'OU TE VIENT CETTE AVERSION POUR TOUTE CETTE SCÈNE? NE CROIS-TU PAS QUE CHAQUE SCÈNE (PUNK-ROCKER / KEUPON / SKIN...) MÉRITERAIT ELLE-AUSSI SA CARICATURE??

Je ne connais pas assez le milieu émocore pour avoir une aversion à son égard. Les clichés que, comme chaque scène, il véhicule me font poiler (bonne conscience politique, révolution ouvrière par les étudiants rouges, pleurnicheries et sensibilité exagérée, poésie à 2 balles...) mais je suis certain qu'il y a des types biens dans leurs rangs, même s'il y a de grandes chances pour qu'ils soient un peu trop babas pour moi. Quoiqu'il en soit, comme tu dis, chaque scène mérite sa caricature, et entre les skins "apolitiques" (rires), les punks "Not dead" mais ça en a pourtant l'air (raides défoncés 90% du temps avec le grand cinéma "bagarre d alcoolos-reconciliation immédiate" ou les hardcoreux friqués mais sapes caillera du Bronx, il est probable qu'elle soit aussi féroce! D'ailleurs, ne trouves-tu pas que j'ai salement arrangé l'image du punk zonard, ici vague épave shootée et lobotomisée?!? En fait, j'ai essayé, en représentant 2 sortes de personnes radicalement opposées (mais s'autoproclamant toutes les 2 "punk") de tourner en ridicule le discours sur la possibilité d'un unité entre tous les keupons, mais aussi (et malheureusement) entre toute la jeunesse marginalisée... Je suis persuadé qu'à part le temps d'une émeute, nous avons trop de différences pour qu'une quelconque entente soit possible. Donc, tu vois Jean, le dessin n'était pas seulement dirigé contre les émocores!

- SUR UN TON ENCORE PLUS "VIRULENT" QUE LE RÂLEUR, IL Y A LE ZINE "FILS DE PUTE"(CERTES DIFFÉRENT CAR SKINZINE), TON OPINION SUR CE ZINE? NE CROIS-TU PAS QU'A VOULOIR FAIRE TROP L'INVERSE DE "TOUT LE MONDE EST GENTIL", ON PEUT TOMBER DANS L'EXCES INVERSE?

"Politiquement", Fils de Pute est ma bible, mon Coran, mon Mein Kampf (ricane!). Fils de Pute a définitivement posé une structure sur la haine instinctive que je nourrissais depuis bien des années à l'égard... des gens. Fils de Pute m'a ouvert les yeux sur des principes sociaux qui, sous une grande variété d'apparences, défendent et légitiment le même infâme processus capitaliste. Je n'aurais jamais été capable d'écrire un zine d'une logique implacable à ce niveau. Ensuite, il y a la manière de voir l'homme, d'apprécier ses responsabilités dans le sort qu'est le sien (qu'il soit en haut ou en bas), il y a aussi la façon de vivre un discours aussi violent, de mettre ses idées en application, "parole est action"? Informer, réveiller, est déjà un grand pas: imagine si tous les militants anti-racistes, écolos, anti-ci, anti-ça comprenaient que leurs combats sont liés et n'ont qu'une unique cible: l'ordure capitaliste! Le grand patronat et ses dobermans (politiciens de gauche et de droite, flicaille, CRS, médias...) auraient de quoi flipper (ce qui n'est pas le cas actuellement). En fait, au delà de l'idéologie Fils de Pute, apparaissent toutes sortes de questions philosophiques (appelons ça comme ça) laissées à l'appréciation de chacun, et là, Panzer je peux te dire que nous sommes pas toujours d'accord, loin de là. Et enfin, il y a des jugements de Panzer sur la scène punk et oi! (NDLR: et RAC!), que je partage quelquefois, mais qui n'engagent que son entière responsabilité, De toute façon, ce n'est pas parce que je l'ai interviewé que du jour au lendemain, je vais me mettre à vomir sur ZABRISKIE POINT ou No Government. Par contre, bien qu'il y ait un certain nombre de provocations délibérées (je ne vous dirai pas lesquelles!), je ne pense absolument pas que Panzer cherche à se donner un genre "tout le monde il est con". Comme je le disais pour Le Râleur, cette débauche d'agressivité sort de tripes et non pas d'un (petit) esprit calculateur.

- DANS UNE DES LETTRES, TU ME DISAIS QUE LES COMMANDES SE FAISAIENT RARES. À COMBIEN TU TIRES LE RÂLEUR? POUR ÉLARGIR, NE CROIS-TU PAS QU'UN ZINE PUNK RESTE FORCÉMENT PLUS MARGINAL QU'UN ZINE SKIN OU HC, ÉTANT DONNÉ QUE BEAUCOUP DE PUNKS ZONENT PLUS OU MOINS ET N'ONT NI LA THUNE NI L'ENVIE DE FOUTRE 10 BOULES DANS UN ZINE??

Et Karok? Combien de sinistres voyous vont lire cette misérable interview?? 100 ex. du nº00 du Râleur sont partis a peu près partout en France, 150 du nº01, et j espère qu'il en sera de même pour le tout récent 03. Beaucoup de punks zonent d'après toi? (NDJ: viens en BZH passer 15 jours avec Laurent des Mass...) Hum, je n'en suis pas certain... quoique leur look semble souvent indiquer le contraire, il y a pas mal de fils à papa, même chez nous. Regarde à chaque concert, tous ces gens qui singent les vrais zonards dans leurs attitudes même les plus pitoyables, regarde a chaque fois tous ceux qui se pavoisent en compagnie des punks les plus destroys, qui leur serrent la main avec fierté et bien en vue de tous... Les phénomènes d'idolâtrie, même au sein de ceux qui clament "ni dieu ni maître", même au sein du public. C'est facile de boycotter le travail en usine ou les ANPE et autres ASSEDIC devant lesquelles il faut plier pour trouver de quoi vivre quand tu es à la fac ou chez tes parents sans projets d'avenir. Et puis, je peux aussi te citer de nombreux cas de types avec une gueule d'enfer qui arrivent à concilier dégaines et petits boulots de manutention pour au final toucher un revenu modeste mais tout aussi élevé que celui des skins ouvriers. Je pense surtout qu'un zine punk a davantage de mal à percer qu'un zine skin ou NYHC parce qu'il touche un public en général désordonné et/ou beaucoup plus "nihiliste", pas motivé. Se coiffer correctement semble déjà tout un problème pour ces gens, alors ne leur demande pas de lire une chronique jusqu'au bout, de ressentir de l'intérêt pour ce qu'ils ont lu, d'écrire une lettre et de la poster: c'est trop d'efforts!

- QUELS SONT LES ZINES QUE TU APPRÉCIES TOUT PARTICULIÈREMENT, CE QUE TU RECHERCHES DANS LEUR LECTURE. CEUX QUE TU LIS REGULIÈREMENT. ET AU CONTRAIRE, CEUX QUI T'ENERVENT LE PLUS?

Cela dépend du moment, de mon humeur, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Pourtant, il y a bien quelques constances. Ce qui me semble primordial pour un zine, c'est la personnalité, les couilles d'afficher ses opinions, de sortir des sentiers battus. À la limite, j'ai plus de respect pour un zine RAC (mais c'est vraiment super malsain, j'avoue) que pour un zine commercial, promotionnel, d'accord avec tout le monde, anarcho le temps d'une interview avec les MASS, oi! apolitique le temps d'une interview avec les CHARGE, punk embiéré le temps d'une interview avec PKRK. Laissons les publi-reportages aux programmes de ciné ou Canal +, moi je me torche avec ces zines-là, la publicité m'irrite. Autant photocopier et compiler des flyers, cela reviendrait au même question rage et sincérité. Sinon, pour citer quelques noms de zines m'ayant marqué ces derniers temps (à défaut de les lire régulièrement puisqu'ils ne le sont pas tous réguliers): EARQUAKE / REALITY OF WAR / SCREAM / L'INDESCRIPTIBLE CHAOS RAMPANT / SHAVEN REPUBLIIK / FILS DE PUTE / DESIR NOCTURNE et bien sûr, ceux que je connais depuis longtemps et continue de lire avec autant de plaisir...

- EST-CE QUE TES REMARQUES (NOTAMMENT PAR RAPPORT AUX SCENE REPORTS!!) T'ONT PARFOIS ATTIRÉ DES EMMERDES? LE RÂLEUR EST-IL PERSÉCUTÉ?!?

Persécuté est bien grand mot... Du moins, j'attends les répercussions du 03. Pour le 2ième, THE, légende des punks Bas normands s'est effectivement reconnu dans un scène-report où je le décrivais comme un "gros punk probablement débile mentale...", ça n'a pas plus au jeune homme, mais il semble prêt à discuter, contrairement à sa horde de potes qui, dans un moment d'infime stupidité, sont passés au magasin d'un copain qui m'a distribué à Cherbourg pour lui dire qu'ils allaient me faire ma fête. Encore une fois, ni dieu ni maître, sauf notre chef et idole (NDLR: quand on cherche...). Espérons juste qu'ils ne me tombent pas dessus à 5 sur le coin de la gueule, vu les bestiaux, ça risque d'être assez violent, disons que cela met un sérieux frein a mes relations dans cette ville. Hey, Karok n'est pas distribué par Tape dans l'Mille au moins?!?

- LE RÂLEUR ET LE FUTUR... PROCHE OU LOINTAIN??

Houlala, tu m'en demandes beaucoup trop... Je ne pense pas ressortir un jour un nº aussi gros que le dernier (46 pages), cela demande trop de boulot. De toute façon, quelque soit la tournure que prendra ma vie privée dans les prochaines années, je ne pense pas abandonner le "milieu"' de sitôt, et même si mes activités risquent d'être très irrégulières ou de se présenter sous une autre forme (zine d'une 20aine de pages, feuille d'infos, label?, organisation de concerts???), j'espère toujours rester productif

- UN DERNIER MOT LIBRE, À TOI...

Merci à Karok pour ces pages de libre expression, excuse-moi, Jean, de t'avoir toujours contredit. D'autre part, je prie le ciel de n'avoir pas trop dit de bêtises puisqu'à peu de choses, j'ai écrit ces réponses quasi d'une traite... Alors voilà, n'hésitez pas à m'écrire si vous avez quoique ce soit a dire... Tshaw, à la prochaine, t'as de la chance, Brest, c'est presque PARIS VIOLENCE à la plage.(NDJ: Je t'emmerde!).